L’interview
Q.1 : Pouvez-vous nous parler de votre parcours et nous expliquer ce qui vous a conduit à vous spécialiser dans la défense des animaux ?
Mon expertise professionnelle initiale était très éloignée de la défense des animaux, et de la cause animale, en général.
Mais, après 20 ans de cette pratique, j’avais besoin de me renouveler et de pouvoir aider, avec mes petits moyens, une cause qui me « parlait ». Je suis très admiratif de ceux de mes Confrères qui consacrent leur temps à aider les femmes, les étrangers, des minorités ou les plus démunis. Pour ma part, embrasser la cause animale, c’est fait par hasard, d’une part, et au fur et à mesure de rencontres, d’autre part. Mais, c’est très vite devenu aussi une évidence et une passion. Le fait d’avoir toujours vécu entouré d’animaux, d’être cavalier – j’ai même présidé le Groupement Hippique Régional d’Ile de France – sont autant d’éléments qui ont sans doute aussi comptés.
Q. 2 : Quels sont, selon vous, les principaux défis juridiques auxquels les défenseurs des droits des animaux sont confrontés aujourd’hui ?
Il n’en existe qu’un : la France est un pays dont le système juridique est organisé pour rendre possible toutes les formes de maltraitance : la chasse et l’élevage sont protégés par le Code rural, la corrida par le Code Pénal, l’expérimentation animale par le Code de l’Environnement,… Défendre les animaux dans un environnement juridique aussi hostile est en soit un défi. Il faut bien comprendre qu’en France, la règle (inavouée) est la maltraitance et l’exception, la protection des animaux.
A titre d’exemple, à l’opposé, la Belgique (je suis également avocat au Barreau de Bruxelles) a inscrit en 2024 la protection des animaux dans sa Constitution. En France, la même année, les sénateurs ont fait barrage à la proposition de loi visant à interdire la corrida aux mineurs. Les sénateurs se sont en réalité rangés aux côtés du lobby taurin pour protéger la corrida.
Cette comparaison vous explique tout simplement que la France est un pays qui soutient, en 2024 encore, toutes les formes de maltraitance. Défendre les animaux, c’est quasiment un combat contre la France et ses institutions.
« Aujourd’hui, les lois sont globalement inefficaces pour protéger les animaux »
Christophe Gérard, avocat aux barreaux de Paris, Quebec et Brussel
Q. 3 : Comment évaluez-vous l’efficacité des lois actuelles en matière de protection animale ?
J’aurais envie de vous répondre : joker.
Plus sérieusement, aujourd’hui je considère que ces lois sont globalement inefficaces pour protéger les animaux, ce qui est logique dans un système juridique favorisant la maltraitance. Par contre, les lois protègent très efficacement ceux qui maltraitent les animaux, notamment dans certaines filières économiques.
Q.4 : Quelles évolutions législatives ou réglementaires souhaiteriez-vous voir pour renforcer la protection des animaux ?
Il n’y aura aucune évolution législative ou réglementaire en France, aussi longtemps que les mentalités n’auront pas changé.
La protection des animaux n’est pas un problème de droit, c’est avant tout un problème moral et éthique.
Mais, je m’aperçois que j’ai juste oublié de rappeler un point essentiel qui explique la dimension morale de la protection des animaux : les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Si, si, je vous assure. En 2015, la France a enfin considéré qu’il était temps d’abandonner la théorie de l’animal – machine. Mais cet aggiornamento ne s’est fait qu’en théorie. La pratique et la vie de tous les jours n’ont toujours pas réussi à s’adapter. Les mauvaises habitudes ont la vie dure.
« La défense juridique des animaux (…) n’a pas connu de grandes évolutions au cours des 10 dernières années. »
Christophe Gérard, avocat aux barreaux de Paris, Quebec et Brussel
Q. 5 : Pouvez-vous évoquer un cas récent qui, selon vous, a marqué un tournant dans la défense juridique des animaux ?
Je cherche… Non, en réalité, la défense juridique des animaux est une matière qui n’a pas connu de grandes évolutions au cours des 10 dernières années. Je n’ai pas d’exemple à vous donner permettant d’illustrer une évolution significative.
Q. 6 : Quels sont, à votre avis, les enjeux éthiques les plus urgents dans le domaine de la protection animale ?
Il n’y en a qu’un à mes yeux : les animaux sont des êtres vivants (bis). L’homme, s’il est aussi intelligent qu’il le prétend, n’a alors qu’un devoir : protéger les animaux. C’est au demeurant ce que mentionne l’article 2 de la Charte de l’Environnement de 2004 lorsqu’il est écrit : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». Les animaux, les végétaux,… sont parties intégrantes de l’environnement. Il est donc urgent qu’un changement de paradigme intervienne enfin en France. La France se conduit comme un pays totalement arriéré à l’égard des animaux.
La France doit enfin passer d’un système de l’animal-mort à un système de l’animal-vivant qui doit être respecté.
Q. 7 : Comment la jurisprudence influence-t-elle les avancées dans la protection des droits des animaux ?
Je me permets de vous renvoyer à ma réponse à votre précédente question sur un fait marquant dans la défense des animaux. Je suis désolé.
La jurisprudence n’a aucune influence dans la protection des animaux. Mais, ceci n’est pas la faute des magistrats. Les seuls responsables sont les politiques qui font les lois qui ont pour seul objectif le maintien d’un statu quo, c’est-à-dire ne pas entraver, voire favoriser, l’action de ceux qui maltraitent les animaux.
Q. 8 : Pensez-vous que la sensibilisation du grand public et l’évolution des mentalités contribuent à améliorer la législation sur la protection animale ?
Absolument pas. Tout simplement parce que le Parlement se moque totalement de l’opinion publique. Il est juste là pour veiller à préserver les intérêts des lobbys qui maltraitent les animaux. Le Parlement et bien évidemment les institutions françaises, dans leur ensemble. Un chiffre est bien connu : 75 % de la population français souhaitent l’interdiction de la corrida. Et les Parlementaires (la classe politique) font bloc, toutes tendances politiques confondues, à quelques rares exceptions près, pour protéger la corrida, à chaque nouvelle tentative d’interdiction ou de limitation de cette barbarie.
Q. 9 : Quels sont les principaux obstacles que vous rencontrez dans votre pratique et comment les surmontez-vous ?
Pour un avocat, je dois vous faire un aveu dont je suis peu fier : le premier obstacle à la protection des animaux, en France, c’est la loi elle-même. Je rappellerai – c’est un exemple – que l’article L 521-1 du Code Pénal AUTORISE expressément la corrida. Autorisation qui a été validée par le Conseil Constitutionnel en 2012. Mais le plus choquant c’est que le Code Pénal a pour mission de fixer les peines encourues par les auteurs d’infractions et de réprimer les comportements fautifs. Croyez-vous vraiment que ce soit la place d’une mesure autorisant le massacre d’animaux ?
Un Confrère belge, qui connait bien la protection animale, a parfaitement résumé la situation française, je crois. Il m’a dit un jour : « En France, si l’on veut protéger efficacement les animaux, il faut juste contourner les lois ou, mieux, être dans l’illégalité ». Ce constat me semble terrible mais malheureusement très juste. Vous avez sans doute suivi les récentes péripéties de Rillette, sanglier recueilli par un particulier. Sa propriétaire a été menacée de poursuites (et Rillette devait être euthanasié) simplement parce qu’elle avait recueilli et protégé cet animal. Par contre, TUER un taureau dans une arène ne vous exposera jamais à aucune poursuite… Voilà la réalité du système français : vous êtes passible de sanctions quand vous protégez un animal. Pas quand vous le torturez et le mettez à mort !
En France, le droit, et la plupart de ceux qui l’écrivent, sont les ennemis des animaux. A l’heure où l’Europe vient de se doter d’un Commissaire en charge du bien-être animal (il est encore beaucoup trop tôt pour savoir ce qui changera concrètement), la France refuse toujours mordicus la création d’un ministère chargé de la protection animale (contre 3 ministres en Belgique), cette attribution étant toujours confié au Ministre de l’Agriculture, ce qui fait tristement sourire…
Notre point de vue
Nous partageons pleinement son analyse : en France, les blocages viennent avant tout du système politique, qui privilégie les intérêts économiques et traditionnels au détriment du bien-être animal.
Malgré une prise de conscience croissante de la société, les avancées législatives restent timides, souvent freinées par des lobbys puissants et des mentalités profondément ancrées.
Il faudra sans doute attendre les prochaines élections présidentielles pour espérer une évolution significative, à condition que la question animale soit enfin prise au sérieux par les décideurs politiques et ne soit plus reléguée au second plan.
D’ailleurs, un paradoxe demeure : le bien-être animal est largement débattu dans le cadre de l’alimentation, notamment à travers les conditions d’élevage, le transport des animaux ou encore les méthodes d’abattage.
Pourtant, les animaux de compagnie, qui partagent notre quotidien et tissent des liens forts avec les humains, restent étonnamment absents des grandes discussions politiques. Les abandons massifs, les trafics d’animaux, le manque de contrôle sur l’élevage des chiens et des chats, ou encore les dérives liées aux nouvelles tendances (comme la possession d’animaux exotiques) mériteraient une attention bien plus soutenue.
Cette dichotomie interroge : pourquoi le bien-être des animaux d’élevage semble-t-il plus légitime à être discuté que celui des animaux de compagnie, alors qu’ils font partie intégrante de nos foyers ?